Une nouvelle pour enfants : "Petite bête..."
(extraite du livre "Le Sac Bric-à-Brac")
Une nouvelle pour adultes : "Les obsessions de Cathy"
(extraite du livre "Le Cerveau de la Méduse")
Petite bête
Bronzer en travaillant ? Le rêve… Ce mercredi, le soleil était de la partie. L’occasion idéale de travailler à l’extérieur, de relire mon recueil de nouvelles au grand air. Je devais en vérifier l’orthographe, remanier certaines phrases, changer quelques mots, supprimer l’un ou l’autre passage inutile.
Pas trop chauds parce qu’adoucis par un vent léger, les rayons du soleil étaient supportables et me tannaient gentiment la peau nue. Non, ne fantasmez pas ! Je portais un chapeau de paille style « cow-boy »… et un short beige. Mini, j’en conviens, mais décent : la voisine travaillant dans son potager, je n’aurais pas voulu la troubler.
Après avoir légèrement incliné mon fauteuil relax, je m’installai sur les coussins, paquet de feuilles sur les genoux, bic rouge dans la main droite. « A nous deux, mon texte ! Prépare-toi, j’attaque tes 200 pages ».
Les nouvelles acceptèrent l’opération sans rechigner malgré mon scalpel qui rougissait les lignes noires, tranchait dans le vif. Parfois délicatement, rageusement à l’occasion. Tout autour de moi, le bruissement des feuilles dans les arbres, le bourdonnement des abeilles dans les arbustes en fleur, le bruitage inévitable mais très lointain de la route et de la civilisation.
Concentré sur mes histoires, j’avais barbouillé de rouge une vingtaine de pages quand un craquement inhabituel me fit sursauter : Didi ma chatte, sans doute. Je regardai, attentif, quand je vis à dix mètres, le corps sans tête d’un petit animal. Quand je dis « sans tête », ne croyez pas qu’il avançait décapité. Non, elle était cachée par le massif d’hibiscus qui, en plein épanouissement printanier, formait un véritable rempart rose à l’arrière de ma terrasse. J’avais remarqué son pelage blanc cassé presque beige et une tache blanche sur le bout de son appendice caudal. Mon cerveau me rappela immédiatement « Confetti », un petit chat que j’avais eu jadis, dont le bout de queue tout blanc sur deux centimètres tranchait avec la noirceur du reste de son pelage.
Un nouveau félin dans le quartier ? Ma Didi n’apprécierait pas !
Je restai immobile. J’entendais la bête se rapprocher de moi : apparemment, elle n’était pas farouche car en toute logique elle aurait dû m’apercevoir ou me sentir … et s’enfuir. Soudain je vis sa tête, en tous cas, de biais, alors qu’elle allait se planquer derrière un petit abreuvoir en pierre bleue qui me servait de pot de fleurs extérieur. Je fus étonné : j’avais cru reconnaître un chiot. Que pouvait-il faire ici ? Les voisins ont des chiens, des molosses, même. Il ne pouvait venir de chez eux. Alors, perdu ? Abandonné par son maître ? Il m’avait paru jeune : à la recherche de sa mère ?
Devais-je bouger ? Le chasser pour lui éviter une confrontation avec mon félin, très agressif envers les petits chiens ? Non, j’avais le temps d’attendre et de vérifier sa démarche. Cela me rappela une promenade que j’avais faite dans le Bois de la Houssière à Braine le Comte. J’avais à peine douze ans et m’étais posté « en embuscade » près d’une source, immobile pendant plus d’une heure… Puis le bonheur : admirer une petite biche venir s’abreuver à quelques mètres de moi… !
J’en étais là dans la nostalgie de mes souvenirs quand la petite bête quitta son repaire. Elle suivit le mur de la terrasse et se dirigea vers la porte-fenêtre ouverte sur le salon d’où s’échappaient les volutes du Concerto d’Aranjuez.
J’étais à moins de deux mètres. Je respirais doucement, calmement. Mes yeux suivaient le mouvement de l’animal, mais sans bouger le visage. Son œil droit, le seul que je pouvais apercevoir avait l’air d’être recouvert d’une petite peau : était-il malade ? Blessé ? Ma tête bougea, lentement. Mon chapeau la suivit au même rythme. Je contemplai l’animal : ce n’était pas un chien car son museau partait trop en pointe. Un renard probablement. Une famille avait sévi récemment dans le quartier où prairies, grandes propriétés arborées, taillis épineux et cachettes naturelles abondent.
L’intrus s’arrêta près de la porte, regarda dans le salon qui était accessible, hésita à entrer. Allais-je devoir intervenir pour l’en empêcher ? J’attendis encore, follement excité par cet instant de bonheur...
A moins d’un mètre maintenant, le petit animal se retourna : nos yeux se croisèrent… Il me regarda et, pour la première fois de sa vie -courte je l’admets- se trouva en compagnie d’un nouvelliste. Je dus lui plaire car il plissa les yeux en forme de clin d’œil, me montrant son petit museau pointu et ses fines moustaches. Il s’agissait bien d’un renardeau qui ne paraissait pas au mieux de sa forme. Recherchait-il de la nourriture ?
Moi, je baignais dans l’euphorie en découvrant cet enfant de la nature avec ses petites pattes titubantes, sa queue amusante, son regard curieux. Mais où était sa mère ? Il était trop jeune pour survivre seul… Le capturer ? Le nourrir ? Le moindre mouvement le ferait partir… Je me contentai donc de profiter de ce moment privilégié que vivent les explorateurs patients à l’affût des bêtes sauvages pour les fixer en photo ou capturer trente secondes extraordinaires de leur vie pour un film que des gens regarderont distraitement…
Le renardeau resta figé, mais sa queue battait comme celle d’un chien heureux. Quel message voulait-il me signifier par son regard amusé ? Qu’attendait-il de moi ? Combien de temps le petit félin partagerait-il mon parage ?
Je bougeai doucement le bras, lentement tendis la main vers lui. Le petit félin hésita, avança d’un pas comme le fait mon chat quand il désire se faire caresser.
Une moto survoltée traça soudain la route proche et sa pétarade monstrueuse déchira l’éther.
Effrayée, la petite bête ne fit qu’un bond pour quitter la terrasse et s’enfuit vers les nombreux taillis qui forment la clôture de ma propriété. Je la vis à distance qui me regardait de loin, protégée sous la branche basse d’un sapin. Le petit félin cligna de l’œil puis s’éloigna, hélas hors de ma vue. Garderait-il un bon souvenir de moi ? La nature lui rendrait-il sa mère ? Survivrait-il seul dans ce monde cruel ? Moi, c’est certain, je n’oublierais pas de sitôt le visage sympathique de ce petit renard et son clin d’œil amical et complice.
Le lendemain, une odeur nauséabonde m’entraîna vers la cabane du jardin. Sous le plancher, une vieille renarde se décomposait. La mère sans doute. Le surlendemain, ma voisine -qui adore les animaux- me signala, attristée, avoir vu sur le bas-côté de la route, le corps écrasé d’un chat ou d’un petit chien au pelage beige avec, lui semblait-il, le bout de la queue blanc…
J’en fus bien affecté, mais depuis deux jours, près de mon poirier, un renardeau beige, décoré d’une petite tache blanche au bout de la queue vient se régaler des poires tombées…
Pilgou -c’est le nom que je lui ai donné- ne s’est pas enfui… Je crois qu’il m’a reconnu de loin car il m’a fait un clin d’œil…
Mons, le 06/06/07 dans mon jardin.
Note de l’auteur : Quand les renards ont faim, ils se rabattent parfois sur les fruits.
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Une nouvelle pour adultes :
(extraite du livre "Le Cerveau de la Méduse")
Les obsessions de Cathy.
Il s’était levé sans bruit et m’avait laissée dormir, étendue à poils sur le grand lit.
Peu de temps après, j’avais également quitté la chambre et, n’entendant pas de bruit dans la cuisine, je l’avais imaginé dans le salon, en train de lire le programme télé de la journée pour ne pas risquer de perdre une émission intéressante… Quelle idée ! Moi, la TV, ce n’est vraiment pas mon truc ! Je préfère me promener ou, le soir, somnoler en imaginant des aventures, les oreilles bercées par une douce musique.
J’avançai jusqu’au salon, à pas feutrés pour le surprendre : il reposait sur le canapé, assis, la tête appuyée sur le haut du dossier bien adapté à la nuque : confort indispensable pour les longues soirées « films ». Il n’était vêtu que de son pantalon de pyjama, pieds nus et torse nu.
Sa position me donna l’envie d’un petit câlin. Tout doucement, je m’assis sur ses genoux, à contre sens, ma tête face à la sienne. Il se réveilla et me sourit :
- Ah, Cathy ! Tu es enfin réveillée !
Puis, voyant mes yeux énamourés,
- Tu ne penses vraiment qu’à çà ! Si nous allions plutôt prendre le petit-déjeuner ?
Non, je préférais d’abord un peu d’amour et, sans lui répondre, j’appuyai ma tête contre son torse. Jean accepta ma tendresse et, presque paternellement, me fit un baiser sur la tête qu’il caressa gentiment. Sa main descendit sur mon dos, suivant ma colonne vertébrale : je ressentis des picotements dans le bas du dos qui se cambra un peu.
- Je vois que tu aimes toujours ça, apprécia-t-il avec un grand sourire.
J’eus l’envie de gémir de contentement, mais me contins. Par contre, je ne tenais plus en place et me retournai doucement. Ecartant tous mes membres, je détendis mon corps, l’offrant à ses mains, l’ouvrant à ses cajoleries. Il aimait me câliner la poitrine et le ventre, fourrager ma toison… Je me sentais divinement bien et je remarquai que, sous le bas de mes reins, mes mouvements incessants lui faisaient aussi de l’effet. Mais je n’en voulais que pour moi ce matin et je me laissai fondre de bonheur sans autre retour pour lui qu’un sourire béat de satisfaction. Il s’en rendit compte car il m’asséna :
- Finalement, il n’y en a jamais que pour toi !
Je me dis que Jean était un homme adorable et que j’avais bien fait de vivre avec lui. Certaines amies ont eu moins de chance et reçoivent parfois plus de coups que de tendresse. Moi j’ai fait le bon choix.
Des gargouillis troublèrent ma quiétude et le ventre nu de Jean. Il avait faim et, à vrai dire, moi aussi. La vie n’est pas faite que de caresses.
Il me dit :
- Cette fois, finis les câlins : on va manger ! Tu m’entends Cathy : « Manger » !
Comme « amour », « manger » est un mot magique. Je me redressai donc, quittai ses genoux avec souplesse et le précédai dans la cuisine. Là, je l’attendis collée au frigo : me proposerait-il encore un de ces petits déjeuners dont je raffolais ?
- Miaou, lui fis-je avec amour.
- Oui, je sais que tu as faim, Cathy. J’ajoute un peu de saumon à tes boulettes, fit-il gentiment.
C’est quand même bien un homme !
Le 18 février 2007
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